Tout le monde connaît certaines expressions courantes dans le monde de la musique :
Faire un pain
Ouvrir une boulangerie
Jouer à la feuille
Jouer en l’air
Ça sent la roulotte
Partir en banlieue
Avoir les oreilles en béton
Envoyer la purée
Chanter comme une seringue
etc…
Certaines sont tout aussi exotiques et imagées, bien que peut être plus trop usitées. Aujourd’hui , je vais vous parler de : « Être mou du rouge »
Directement appliquée aux ingé-sons et par extension à tous ceux qui manipulent un enregistrement. Et comme vous êtes sensés être des arrangeurs réalisateurs, cela vous concerne.
Enfin, plus vraiment…
Je m’explique.
En commençant par une anecdote :
Il y a quelque temps je participais à une session au studio Guillaume Tell. Un enregistrement. Le musicien se chauffait les doigts en s’entrainant sur le playback qui roulait sur Pro tools.
L’assistant de la séance, qui avait l’âge d’être mon fils, sensé s’occuper de l’enregistrement, était en train de se faire un café. Et je me disais en mon for intérieur, ha ha, jeune padawan, le musicien va surement te demander de réécouter ce qu’il vient de jouer, et toi t’es parti faire un café, et t’as pas appuyé sur RECORD, erreur funeste. Tu vas t’en prendre une…
Il revient à sa place, après le café, et appuie sur RECORD quelques secondes avant la fin de la chanson. Les dernières mesures du titre s’enregistrent sur la time line.
Trop tard mon ami, me dis-je, y a pas assez pour que ce soit utile.
Et, comme prévu, une fois la chanson stoppée, le musicien demande à juste écouter pour le son.
Je guettais, non sans une pointe de malice, la réaction balbutiante du jeune éphèbe, expliquant maladroitement qu’il avait préféré le café au pro Tools.
Et le voilà qui, sans se démonter, va vers le pro Tools, clique sur l’outil TRIM, et d’un coup de souris, en draguant la piste vers la gauche, récupère la totalité de l’enregistrement qui s’affiche sur la time line.
QUOI ? WTF ?
Le pro Tools enregistre même si on n’appuie pas sur RECORD ? Et je vois dans son regard amusé qu’il a vu la surprise sur mon visage. Ah le petit con… Je ne connaissais pas la manip.
Bien vu.
Je ne sais pas si cette fonction est implémentée sur d’autres Workstations, mais il y a des ingénieurs malins chez DIGIDESIGN qui ont eut pitié des assistants qui se faisaient malmener, peut être avaient-il étés assistants eux-mêmes dans une vie passée, et qui avaient bricolé la fonction.
Je me surprends à me consoler intérieurement, de ce camouflet technologique qui m’avait fait vieillir un peu plus, en me disant qu’à mon époque, LA VRAIE… fallait pas être « mou du rouge ».
Et je me souviens d’un coup de cette période, que ceux qui sont nés après 1980 connaissent que par ouï-dire, où on enregistrait sur des magnétophones analogiques à bande, on mixait sur des consoles sans automation, on montait avec une paire de ciseaux, et le sampling n’existait pas encore.
Pas de Cue in/out pour dropper sur une piste, pas de UNDO si on se ratait, pas de playlist de recording, pas d’ordinateur en fait.
Si le chanteur voulait refaire une phrase sur la même piste, puisqu’il n’y en avait pas beaucoup à disposition, ou le guitariste "dropper" une fausse note dans son solo, il fallait appuyer sur le bouton RECORD, le fameux bouton rouge, avec dextérité.
Au risque d’effacer irrémédiablement ce qui précède ou ce qui suit le drop.
Et comme la tête de lecture du magnétophone se trouve après la tête d’enregistrement, il fallait anticiper d’une double croche le moment d’enfoncer le bouton RECORD, et pareil pour la sortie. Fallait pas être « mou du rouge ».
Combien de drames auraient pu être évités, de solos effacés, de vibes vocales détruites Avec la bonne technologie…
Ce qui n’a pas empêché in fine la fabrication de bons enregistrements par ailleurs.
Si on voulait refaire un break de batterie, fallait en plus bien faire attention à la résonance des cymbales avant de dropper n’importe où sur 8 pistes à la fois. Mais le pire, c’était, pour un assistant, d’oublier par mégarde une piste armée pour l’enregistrement, quand on enregistrait une autre piste.
On effaçait par erreur la piste de grosse caisse, alors que le batteur était reparti à Londres la semaine précédente. Pas de UNDO . Pas de session backup. Nada.
Suite à ces petits désagréments, pas mal d’assistant finissaient leur carrière dans la restauration rapide… Ah le bon temps ! (Je plaisante) ;
Il y aurait tant à dire sur ce fameux bouton rouge
Une autre anecdote :
Saviez-vous qu’à l’époque, dans les années 70, avant donc les synthés, la plupart des arrangements de variété étaient fait avec un grand orchestre live ?
Les séances s’enchainaient tous les jours, et les musiciens étaient payés à la passe.
1 passe gratuite pour le réglage du son, une passe payante pour l’enregistrement.
Si on voulait un 2eme enregistrement, il fallait payer en plus.
Devant le manque de motivation de certains pupitres, genre le 3eme violon à droite, qui lisait le journal pendant la séance, ou qui ne s’était pas accordé, il arrivait que le producteur, en accord avec l’ingé-son, demande à refaire une passe.
Et certains chefs d’orchestres, malins, en profitaient pour demander une rallonge.
Voyant cela, les ingé-sons démontaient la lumière sur le bouton rouge du magnétophone, Alors qu’ils enregistraient, en faisant passer cela pour une répétition, afin que, sans que le chef puisse s’en rendre compte, ils puissent avoir une 2eme prise pour choisir sans payer plus.
Tout une époque je vous dis !
J’ai connu cette période sur le tard, je ne suis donc pas assez vieux pour tout raconter, mais j’ai pu assister, lors de mes séjours aux studios PATHE MARCONI /EMI dans les années 80, Claude Wagner, l’ingé-son en chef (qui m’a appris beaucoup) qui me racontait quelques prises d’orchestre mémorables, ou il fallait arrêter la prise à cause d’un bruit de fond étrange. C’est le tromboniste qui écoutait le match sur une petite radio portative pendant l’enregistrement.
Étonnant non ?
Salut Érick ! Merci beaucoup pour ces anecdotes et ces récits, tous aussi intéressants les uns que les autres. Amitiés
belle plume !