ERREUR 4
On verra ça au mix...
Une erreur commune que j'ai expérimentée à mes débuts et que j'ai croisé souvent dans mes stages de formation auprès des élèves, c'est l'action qui consiste à ajouter, ajouter et rajouter des tas d'idées, d'options, de prises, de multiprises, de reprises, de couches superposées, de variantes, option A, option B, option Z, de pistes doublées, triplées, de climats alternatifs, de structures étendues, etc. sur votre chanson.
Juste pour être sûr.
Sûr de quoi ?
De pas rater la bonne version. De tout couvrir.
"De toute façon, on verra ça au mix."
Et non ! ON VERRA RIEN AU MIX !
On ajoute juste du doute au travail du mixeur. Du mal à la tête au producteur.
Et si on fait tout soi-même, une perte de temps et de confiance extraordinaire.
Croyez-moi. Expérience vécue.
Le doute est une arme bénéfique sur le court terme. Ca permet juste de réfléchir un peu avant d'agir. De choisir entre 2 options. Ok.
Il devient un poison mortel quand il empêche de trancher.
Comme dans la vie.
Et vouloir assurer toutes les options possibles revient à reporter ses choix à plus tard, voire jamais.
J'étais en train d'écouter l'album "Electric Ladyland" 1968 de Jimi Hendrix pendant que je préparais cette note.
Et je me disais: "Voici quelqu'un qui ne doute de rien !". On ne lui a jamais dit que c'était pas possible de jouer de la guitare comme ça. Alors il l'a fait.
Il a douté de rien.
Et si Audiard disait : " Les cons ça ose tout, c'est même à ça qu'on les reconnait."
Alors, soyons cons, musicalement. Osons, prenons du plaisir sans protection, puisque c'est presque le seul domaine où ça reste encore safe.
Réfléchissons encore une fois à ce à quoi est destinée la musique en premier lieu.
Véhiculer des émotions à partager entre humains (et animaux) si possible de manière courtoise et enrichissante.
Le doute utile dans cette transmission de l'émotion est celui qui empêche de faire n'importe quoi de trop pulsionnel qui pourrait nuire à la bonne captation par le public de cette émotion.
Jouer sans s'accorder, au point que les oreilles saignent, chanter très à côté de la tonalité, par exemple.
Et le public est bonne pâte. Il pardonne beaucoup si le discours musical est sincère. Même médiocre.
Mais l'inverse n'est pas un gage de succès.
Le doute qui nous fait prévoir toutes les options, peut être perçu comme du calcul par le public, s'il sent le manque de spontanéité.
Bon,
En vérité, il ne sent pas grand chose, parce qu'il n'assiste pas au process de la création de l'oeuvre.
Mais si vous êtes du genre à trop réfléchir avant de faire, vous risquez de ne pas croiser le public assez souvent pour qu'il vous aime ou vous déteste.
Pour en revenir au sujet...
On peut comprendre la spontanéité dans le blues, le jazz, la musique live, mais qu'y-a-t'il de spontané dans un tube radio de Goldman, de Voulzy, de Cabrel, de Lady GAGA ?
C'est très réfléchi, calibré, formaté même, et c'est normal quand on a des contraintes de diffusion.
Mais à l'écriture, et à l'arrangement, il n'y a pas de doute. Le doute se lève à mesure de la construction de la pièce.
L'arrangeur propose des options et le choix est tranché quasi immédiatement. Ce qui permet de continuer l'habillage sur ces nouvelles bases. En continu.
Et, généralement, les artistes assument leurs choix de productions. Parce qu'ils savent, je l'ai déjà dit, que la transmission musicale est un instantané d'un moment précis de leur parcours musical. Ils ne referaient pas la chanson de la même manière quelques années avant ou après sa parution.
Quand les Rolling stones sortent « Ruby Tuesday », ils le sortent avec le son qui leur correspond à l'époque (c’est pourri, ça chante faux) et on le chante encore.
La plupart des tubes universels ont connu une période de création assez exempte de doutes à en croire les interviews des intéressés.
Mozart, mort à 35 ans, a écrit plus de 800 oeuvres,
Schubert, mort à 31, plus de mille.
Peu de place au doute.
"Attends, je te fais un 4ème mouvement et on verra ça au mix..."
On choisit bien sûr un climat qui va porter la chanson. On repère tout un tas de sons et instruments qui vont pouvoir servir ce climat. Et on construit.
On peut bien sûr remplacer un instrument par un autre, si ça marche moins bien, une harmonie vocale par une autre, on peut changer un pont, la fin, l'intro, etc.
Mais c'est un processus qui avance en continu. On n'en superpose pas les options, afin de choisir ensuite.
Cette procrastination de tranchage d'options, si je peux m'exprimer ainsi, ne rassure personne.
Ni l'ingé-son qui va se retrouver avec 756 pistes à mixer, ni le chanteur qui ne sait quelle piste de voix prendre, ni le producteur qui voit là la spontanéité du refrain disparaitre, ni vous, enfin, le créateur, qui ne se rappelle plus le titre de la chanson.
Et si vous travaillez seul, c'est pire. Personne pour vous dire que trop c'est trop.
Pourquoi demander à un batteur de refaire 7 prises de batterie différentes sur de la pop ?
Pourquoi demander à un chanteur ou chanteuse, 10 pistes de voix ? (à moins qu'elles ne soient très mauvaises)
Pourquoi demander de refaire intégralement la chanson en 3 tonalités différentes pour être sûr de la bonne tessiture ? On peut pas décider avant ?
J'ai vu tout ça.
Pourquoi revenir, une fois le mix fini, pour changer le son de la nappe du refrain ? Ou le son de la caisse claire.
Le temps, ce n'est pas que de l'argent. Il est irréversible. Il peut se perdre.
Et les nouveaux home studios ont redonné du temps gratuit pour se perdre.
On va trouver des albums bien sûr, faits dans la douleur et le doute, qui s'avèreront être des chez-d'oeuvres, in fine.
Mais immensément moins que des bijoux fait dans l'urgence ou la décontraction.
Faire et refaire sans fin n'est pas un gage de qualité ni de succès assuré. Et il y aura toujours quelqu'un qui trouvera à redire.
Il faut assumer ses choix tout au long du processus. Quitte à les regretter ensuite.
Comme ça on aura le temps de faire 800 oeuvres de son vivant.
Comme Mozart.
Je plaisante.
Mais qualité et quantité ne sont pas corrélées. Jamais.
Ce que l'on y gagnera surtout, c'est du plaisir.
@philippemezan
"Sache que je" est un bon exemple de la manière de travailler que j'affectionne avec JJ.
à l'époque on travaillait sur magnéto Sony 3348, donc 48 pistes.
J'ai regardé, il y a 37 pistes occupées. Mais ce qui est important, c'est pas uniquement l'éclatement des sources audio sur les pistes, mais plutôt de voir les options non utilisées.
Il y en a très peu. toute la partie rythmique, basse, et claviers est programmée, donc les choix sont faits avant de vider sur la bande. la guitare acoustique tient sur une seule piste.
il reste juste 2 options pour la guitare électrique de Patrice Tison, afin de choisir les phrasés les plus interessants, et 4 pistes de voix de JJ…
Je comprends tout à fait le message que vous véhiculez dans vidéo, et le crois même très pertinent. Mais comme souvent entre la théorie et souvent la réalité il peut y avoir un monde, certes a éssayer d'outre passer. de transcander, où ce qu'on voudra. Mais ciel, qu'il est difficile de bannir le doute...Enfin déja pour moi.
A mon petit niveau, quand j'ai refait des enregistrement, très souvent même si c'était "techniquement mieux", émotionnellement il manquait bien souvent quelque chose. La petite flamme qui s'allume au moment de la création et qui n'est plus forcément présente par la suite. C'est évidemment très vrai pour la voix qui est un marqueur fort de ce qui se passe dans nos tripes ... (et d'autant plus vrai quand on n'est pas une "formule 1" de l'interprétation vocale ;)). Par ailleurs, l'overdose de moyens (le nombre de pistes en l'occurence ici) nuit à ce processus de décision dont tu parles. Les contraintes sont souvent source de grande créativité. Ce serait intéressant de connaître le nombre de pistes de chansons qu'on adore.…